Rêver lʼaction

Troisième module : approche méthodologique

Studio Adjolo, Les Fromentinières, Vallons de lʼErdre

17 juin 2022, 40 °C à l’ombre.

© Jenny De Almeida.


Un atelier de composition collective de chansons, avec le chanteur et comédien Lalo.
Un atelier d’initiation à la body-percussion, avec Chloé Coutereel d’Homo Natura.
Deux ateliers, deux pratiques, deux ambiances.
Des mêmes questions ?





POLYRYTHMIE
— On vient dʼécrire un truc.
— Un truc ?
— Oui, un truc collectif.
— Développe.
— Ben cʼest un texte.
— Oui.
— Ben voilà.
— Oui ?
— Un texte collectif.
— Une écriture collective… ?! Ça sent le formol, lʼéducation populaire des années 1970-1980.
— Pas du tout. Enfin peut-être, si. Enfin je nʼen sais rien. Enfin on n’a pas vraiment éprouvé ça. On a crée, c’est tout. On a créé une chanson.
— Ah ! Une chanson ? Ecrite à plusieurs ? Permets-moi dʼémettre quelques doutes.
— Oui y a de quoi douter, je te lʼaccorde : le piège des ego nʼest jamais loin. Avec son panel de phrases creuses.
— Et là tu vas me dire — je connais la chanson — que « le but dʼune écriture collective est de parvenir à créer une ambiance poétique, de multiplier le nombre de cerveaux, dʼémotions, de sensibilités, pour arriver à quelque chose de super fort ». Et tu rajouteras : « Cʼest quelque chose de très individuel, et ça donne quelque chose de très collectif. Et c’est précisément par une individualité extrêmement développée que nous sommes capables de coopérer. »
— Exactement. Enfin… faut être précis : on a travaillé la polyrythmie.
— Hein !?
— Deux rythmes différents qui vont ensemble.
— Et après ?
— On a inclu des breaks qui venaient casser ces rythmiques.
— Du déjà-vu.
— Attends, cʼest pas tout, on a voulu un petit truc très yahoo bloom bla bloom, en accord majeur quand la vie est belle, alternant avec un truc assez rock genre bam bam bam en tapant dedans quand le monde est fou.
— Et en termes de vers, vous étiez comment ?
— On était sur des vers en 6 alternés avec des vers en 8. Le refrain, tout devait rentrer en 4. Avec le mot rêve, il y a des redites, mais on trouve ça beau.
— Cʼest vous qui le dites. On verra à lʼécoute. Et des fausses pistes, vous en avez eu ? Tu connais mon point de vue là-dessus : on juge belle une chanson au nombre des fausses pistes explorées au cours de sa fabrique.
— Oui, il y a eu des fausses pistes. Le mot baleine a disparu. Il y a eu cette idée de « nager avec les baleines jusquʼà la galaxie », toute la phrase, disparue.
— Ça mʼaurait étonné, aussi, que tu te lances dans des chansons à baleine.
— Oui, enfin, euh… Ça aurait pu être possible : dans ces ateliers dʼécriture collective, jʼécris des choses que je ne pense pas avant de les avoir écrite. Et chaque fois je me dis : ce qui est sûr, cʼest que, moi, seul, je nʼaurais pas eu l’imagination pour écrire ça.



SE TROMPER
Une pratique artistique où lʼerreur est ludique, la prise de risque facile. On serait là pour se tromper. On sait quʼon va se tromper. On attend le moment, dʼailleurs. Avec une question : comment sʼaider des autres pour revenir dans le même rythme ?



CHANSON
Dans mes rêves les plus beaux
Je parle avec les animaux
Je cause avec Nana
Je blague avec les koalas
Dans mes rêves cocasses
Je peux changer le temps qui passe
Jʼaccélère lʼordinaire
Et jʼétire lʼextraordinaire

Refrain :
On a dʼbeaux rêves
Viens avec nous
Cʼest beau les rêves
Le monde est doux

Dans mes rêves les plus fous
Jʼme téléporte à Vanuatu
Dʼun claquement de doigts
Je me retrouve chez les Gnawas
Dans mes rêves dʼenfant
Lʼarc-en-ciel est mon toboggan
Je vole à dos dʼoiseau
Jʼattrape le soleil au lasso

Refrain :
On a dʼbeaux rêves
Mais cʼest pas lʼtout
Il faut quʼon sʼlève
Le monde est fou

On balance nos autos
On enfourche nos vélos
On retourne au jardin
On cultive de nos mains
On éteint nos portables
On se retrouve à table
On oublie le plastique
Cʼest loin dʼêtre fantastique





MÊME COMBAT
Comment arriver à faire comprendre que la médiation culturelle et la médiation sociale sont le même combat, et que la culture contribue à améliorer les choses.


RESTITUTION OR NOT RESTITUTION
— Vous nous montrez ?
— Euh non.
— Non ?
— On est vannées.
— Ah.
— Doit-on systématiquement restituer ce qui sʼest fabriqué dans le huis clos de lʼatelier ?
— Euh, non, bien sûr…
— Pourquoi ne partagerait-on pas simplement ce qui est en jeu dans la construction et la production de cette body percussion. Sans le body et sans la percussion.
— Oui, enfin, non, enfin peut-être…
— Faut œuvrer à la déspectacularisation du spectacle, ce qui veut dire sortir des formes dʼexhibition, dʼexposition à sens unique, de hiérarchie entre ceux qui font et ceux qui regardent. Je préfère, au lieu de montrer à tout prix, examiner comment on peut réfléchir ensemble — vous qui êtes en position de spectatrices et nous qui sommes ici en position de body percussionnistes.
— Oui, enfin, non, enfin oui on peut examiner comment réfléchir ensemble, mais enfin, moi, jʼattends, avec impatience, la restitution de cet atelier de body percussion, notre discussion mʼa mis lʼeau à la bouche.
— Cʼest un classique : ceux et celles qui nʼont pas participé aux ateliers (les collègues, les amis, la famille …) ont souvent une forte attente. Ils oublient une chose : ceux et celles qui ont participé à un atelier artistique ont le droit de dire non. Non, on ne partage pas. Non, ça restera dans notre huis clos. Vivre le moment en soi suffit. Mais notre huis clos de pratique artistique reste ouvert à toutes et à tous.
— Un peu radical…
— Notre propos, ce nʼest pas de faire des musiques corporelles pour les jouer à tout prix en public, cʼest dʼexplorer lʼarrière-pays de la création. Et cet arrière-pays, il faut aller y voir pour découvrir des formes sociales en jeu, lʼhistoire dʼun groupe, lʼhistoire dʼun individu, pour se promener, explorer, lire des fondations, lire des incidents intimes dʼexistences muettes, des vacarmes oubliés, des colères assourdies mais grondantes encore, des assouvissements et tout ce quʼil est dʼhumanité possible. Un groupe de pratique artistique, cʼest fait de tout cela et de bien plus encore. Cette notion dʼarrière-pays nous invite à une confrontation exigeante : comment fait-on pour partager lʼexpérience intégrale de la création ? Du coup arrive cette vieille question, presque une antienne, quʼon ne parvient jamais à résoudre : quʼest-ce qui est le plus important, le chemin ou lʼaboutissement du chemin ? Eh bien, ce sont les deux, et pas seulement lʼun ou lʼautre. Et cʼest bien sûr deux fois plus exigeant.



DE HAUT EN BAS
Comment un projet impulsé par le haut — le Département —, comment tout cela va sʼimaginer en dialogue avec les collègues et la hiérarchie. Des freins à lever pour la suite ?



TRANSPORT SOLIDAIRE
— Cʼest pas vraiment un rêve, ni même une action ordinaire. Je dirais plutôt une tentative : on aimerait encourager la participation de personnes âgées en situation dʼisolement, vivant à domicile, à un spectacle du festival « Ce soir je sors mes parents ».
— Dans une région comme Ancenis, trouver comment faire lien entre des personnes en situation dʼisolement et une salle de spectacle, cʼest comme faire lien entre lʼeau et le désert : ça tient soit de la chance, soit dʼune organisation sans faille.
— Sauf qu’Ancenis cʼest pas un désert.
— Ancenis et son territoire cʼest pas une mégalopole non plus.
— Certes.
— Avec ça on fait quoi ?
— On fait. La distance entre les rêves et la réalité sʼappelle lʼaction. Alors on fait avec les ressources du territoire, comme on dit. Et les ressources, ici, ce sont des chauffeurs. Des chauffeurs solidaires. Des bénévoles qui accompagnent des personnes en situation dʼisolement pour les « affaires du quotidien ».
— Sauf que… il y a des personnes à domicile qui ne peuvent pas bénéficier de Transport solidaire.
— Ben il existe Lila, les cars à la demande. On pourrait les solliciter en dehors des horaires de bus habituels ?
— Lʼidée de Transport solidaire est que les chauffeurs et les adhérents se rencontrent à dʼautres endroits que le moyen de transport. Le transport à la demande répond à la demande de transport mais pas à celle dʼaccompagnement. On vous prend seulement à un point A et on vous amène seulement à un point B.


LISTER LISTER LISTER
< Des spectacles pour tout-petits en service de protection maternelle et infantile, avec la bibliothèque (aller vers).
< Un atelier dʼécriture commun entre des personnes âgées hébergées en Ehpad et des personnes en rupture sociale hébergées en pension de famille, avant de sʼéchapper voir un spectacle (avec un petit goûter pour la convivialité).
< Des créations et expositions dʼaffiches dʼun spectacle (les petits et grands iront voir).
< Venir juste pour créer du lien, juste pour déjeuner, juste pour un atelier (degrés de participation différents).
< Des petits déjeuners culture dans une bibliothèque en présence de l’association Transport solidaire, des bénéficiaires et des acteurs culturels (trois chauffeurs et trois résidents).
< Un partenariat structuré entre les services sociaux et les services culturels sous la forme dʼanimation de réseaux pour tisser une géographie humaine de relation (sur trois ou quatre ans).


RÉCIPROCITÉ TRANSFORMATRICE
— Cʼest toujours des moments forts quand tu viens transmettre ton art auprès des personnes en situation de vulnérabilité.
— Auprès des gens. Je préfère auprès des gens.
— Des gens « empêchés », « en déshérence », « exclus », « vulnérables ».
— Des gens, quoi.
— Des gens à qui tu transmets.
— Et qui me transmettent en retour. Dans une forme de réciprocité. Voire de révolution transformatrice. Avec cette question : eux, les gens, quʼont-ils appris et ont-ils conscience quʼils ont appris quelque chose à lʼartiste ?