Le Syndrome du spectateur

Premier module : isolement / vieillissement / place des femmes

Autour du spectacle Le Syndrome de Pénélope

Théâtre Quartier Libre, Ancenis

11 mars 2022

© Émeline Séchet.

« Sur scène, huit femmes d’horizons différents nous livrent leurs histoires et l’énergie féminine de leurs époques, de leurs cultures, de leurs visions du monde.

Dans cette nouvelle création, la compagnie NGC 25 s’inspire de la mythologie et en particulier du personnage de Pénélope, qui a donné son nom à un syndrome. Avec leur propre langage, qu’il passe par le corps, la parole ou la musique, ces huit femmes se confrontent à leurs croyances, à leurs doutes, à leurs espoirs, pour danser, pour exister dans la société d’aujourd’hui. Dans une scénographie épurée, quelques fils tendus s’entremêlent, une toile se tisse et devient une formidable aire de jeu. »

PRÉSENTATION DU SYNDROME DE PÉNÉLOPE PAR LE THÉÂTRE QUARTIER LIBRE

Une « formation-action », quʼon appelle ça. Une formation par lʼaction. Une formation qui va, donc, traverser les péripéties et les aléas de lʼaction.

Et ça nʼa pas raté, dès le premier jour nous y étions, au cœur de lʼaléa : nous avions le beau projet de collecter les impressions dʼélèves de collège à la sortie du spectacle Le Syndrome de Pénélope, une œuvre de la compagnie NGC 25-Hervé Maigret, et cette collecte devait avoir lieu en présence des stagiaires et des personnes âgées. Bien sûr, des plans avaient été faits sur la comète pour libérer du temps — il y a le temps du spectacle, il y a le temps des spectateurs —, une dizaine de stands répartis dans le hall du théâtre dʼAncenis, deux ou trois adultes-stagiaires et personnes âgées dans chaque stand, en catimini, pour une expérience conversationnelle avec la jeunesse. Ça allait dépoter, cʼétait évident, dʼautant que la pièce chorégraphique était dans lʼair du temps MeToo.

Patatras : because Covid-19, les personnes âgées n’ont pu se rendre au théâtre. Les ados, quant à eux, ne pouvaient pas se mélanger à dʼautres classes, voire se mélanger tout court. Les échanges ne pouvaient avoir lieu que dans la salle de spectacle, assis, bien à sa place, pendant quelques minutes précédant le « Bord de plateau ». Nous voilà donc une trentaine d’adultes (stagiaires et formateurs-trices) à circuler rang par rang à la rencontre dʼados affalés comme au cinéma. Eux, assis dans ces beaux fauteuils rouges, et nous, debout, face à eux, leur tendant des perches pour se représenter leur réception et donnant parfois la nôtre, de réception, pour lancer la conversation.

Ça a parlé, plus qu’on ne l’avait imaginé. Comme souvent, dans les aléas, les surprises sont bonnes. Ça sʼest confié, même. Ça a secreté. Mais rien ne sortira pendant le « Bord de plateau », la situation faisant écran à la pensée intérieure du public. En revanche, cette parole sera librement restituée par les stagiaires (sans la présence des ados, because Covid-19) lors dʼune agora, dans le hall du théâtre.

ET LÀ, CE FUT LA DÉFERLANTE
De base les ados ne savaient pas ce que cʼétait / ne savaient même pas le titre de la pièce / déstabilisés parce que pas informés / pas informés et pas préparés / à voir ce décor abîmé et glauque.

Quatre garçons venaient au théâtre / pour la première fois / ça ne leur parlait pas / ils trouvaient ça bizarre / cʼest pour des spectateurs plus avancés en âge / quʼils ont dit / cʼest trop angoissant et gênant / quʼils ont ressenti / au début la danse faisait peur / quʼils ont raconté / pas envie dʼy retourner / au moins on a loupé la classe cette après-midi / se sont-ils réjouis.

Et les filles / elles ont vu des choses drôles et inattendues / des femmes courageuses / des danseuses qui montent sur les sièges / qui montrent leur poitrine / les filles expriment leur surprise / elles étaient un peu choquées / en fait / cʼétait génial / on a appris plein de choses / ont dit certains gars / on a eu plein dʼémotions / on a été agréablement surpris.

Une fille était gênée / quand une danseuse a tiré son tee-shirt / belle réaction du public dans son ensemble / quand même / avec de la nudité au plateau, parfois ça réagit fort fort fort / a dit une stagiaire / là il y avait de lʼécoute / ça a légèrement réagi / un léger frémissement sur le devant à droite / cette pièce ne choque pas pour choquer / a affirmé une autre stagiaire / les ados ont saisi le sens de cette nudité / sʼest-elle rassurée / les mouvements étaient hyper réfléchis / le cœur battait au même rythme que la musique / nos corps et nos têtes étaient sur scène.

Un garçon était gêné / par rapport au propos sur les attouchements / parce quʼil était avec trois filles / pas du tout à lʼaise / pour des raisons qui lui appartiennent / dʼautres garçons, à côté, ont dit : Ça nous parle pas / cʼest pas pour nous / ils ont affirmé / pas concernés par ce quʼils ont vu / ne se voient pas comme garçons prédateurs / mais ça va sans doute parler aux filles / ils ont ajouté.

Et les interprètes / que savez-vous du fait que les interprètes étaient à lʼaise / dans ce rôle-là ? dans ce rôle à message ? / les seins face public ?

Au début on pensait quʼon allait sʼennuyer / ça laissait dubitatif / et puis on a vu ce que subissent les femmes / ça nous a fait comprendre / enfin on ne comprenait pas tout mais cʼétait bien quand même / cʼétait pas dégueu / cʼétait même émouvant / avec cette voix de la danseuse qui parlait, qui acceptait et assumait sa force, sa puissance / pendant ce temps une danseuse se débattait / à travers les fils / le fil comme lʼinstrument de contrôle de la femme / elles sʼy débattent contre les violences sexuelles / enchaînées par leurs conditions de vie / prisonnières de leur corps / comme un poisson pris dans un filet / suffocation-libération / cʼétait du théâtre à message.

Un groupe des jeunes filles a dit / quʼelles pouvaient décider / pour elles-mêmes / ce groupe a confié / quʼelles étaient bouleversées par le spectacle / elles ont pleuré / beaucoup / dans le noir.

Je suis dʼune totale empathie de ce que peuvent vivre les femmes / a-t-on entendu / dans les fauteuils rouges / par un garçon / debout avec les femmes debout.