Zaï Zaï Zaï Zaï
Cet article est le récit d’une soirée « Critique du spectateur » menée avec le théâtre ONYX et Les Collectors, autour du spectacle Zaï Zaï Zaï Zaï.
Maison des arts de Saint-Herblain, 15 octobre 2021.
Du A d’Absurde au Z de Zaï Zaï Zaï Zaï, il s’en passe des choses dans ce spectacle théâtral tiré fidèlement de la célèbre BD du dessinateur et auteur Fabcaro.
Sortez de votre case, ne bullez plus et installez-vous dans ce spectacle immersif. Laissez-vous rythmer par les scènes décapantes et drolissimes retraçant l’épopée de notre héros qui après avoir oublié sa carte de fidélité d’un supermarché subit les affres et travers de notre société dans un road-trip hilarant. Ne faites pas preuve de surdité face à l’absurdité, à bon entendeur !
PRÉSENTATION DE ZAÏ ZAÏ ZAÏ ZAÏ PAR ONYX
Ce soir d’automne au 26 de la rue de Saint-Nazaire à Saint-Herblain, il se trouvait beaucoup de passionnés, des acharnés, la moitié de la salle contaminée par Zaï Zaï Zaï Zaï. Un couple parlait de « jubilation à revenir au théâtre », un autre se disait « tellement ravi », une spectatrice renchérissait en évoquant son « bonheur d’être là », un homme confiait être « vraiment un spectateur heureux ». D’autres encore venaient « par simple curiosité ». Des « gens qui étaient chauds ».
Une grande partie de ce joli monde avait lu la BD, venait à la Maison des arts par idolâtrie du « criminel-au-poireau » et de ses répliques cultes — « Je suis heureux de moyennement vous connaître ». Nul doute : nous étions en présence d’un public expert de Zaï Zaï Zaï Zaï : une cavale rocambolesque, où très vite un malheureux « criminel », pris en flagrant délit de ne pas avoir sur lui la carte de fidélité du supermarché, met en joue une caissière avec un poireau, et est immédiatement poursuivi par une légion de gendarmes, traqué par une horde de journalistes, puis suscite les critiques de tout un pays et devient en un rien de temps l’ennemi public numéro 1.
À la différence de la BD, où le lecteur ou la lectrice saute d’une page à l’autre par le mouvement de la main, ici, au théâtre, le spectateur ou la spectatrice passe d’une ambiance à une autre par la totalité de son corps, et à proximité d’autres corps. Au cœur de la machine à théâtre. Dans une expérience immersive totale. Quatre scènes, pour un roulement circulaire de situations, qui ricochent les unes contre les autres, et le public au milieu pour faire l’arbitre. Des situations comme des flashs surprises et absurdes, qui ne cessent de s’enchaîner, à s’en tordre le cou : ici, le théâtre s’éprouve tout d’abord par la physicalité. Nos cous peuvent l’attester, ils s’en souviennent encore : ils ont éprouvé l’absurde jusqu’à la moelle. Et ça procure « un bien fou dans un monde de fous ». Zaï Zaï Zaï Zaï, au théâtre, c’est un peu Aïe Aïe Aïe Aïe mon cou.
Et puis il y a ces silences — de longues secondes — qui trouent la temporalité de la pièce, en soulignant l’incroyable absurdité des situations (famille béate chantant des bluettes sur la route des vacances avec à son bord le fuyard incognito, journaliste commentant en direct, pieds dans les intempéries, les non-informations, artistes charitables avec leur album de soutien…). Ces moments de silence, longs, très longs parfois, « bien dans la gêne », donnent paradoxalement une agréable sensation. Ils nous amènent, grâce au personnage principal timide et gauche — comme s’il était directement sorti de la BD —, à « mettre la pensée en branle », un ado happé par la pièce, et intarissable. Il nous offre un angle de perception et un prisme de pensées différentes de la société, accompagnés d’humour grinçant, moquant la bêtise humaine. Ces silences, comme « une description de la manipulation mentale par l’absurde », conclura une spectatrice en sirotant son jus de pomme.
Zaï Zaï Zaï Zaï, c’est un match de l’absurde, avec ses propres règles, et ses ralentis à gogo. L’effet ralenti en théâtre donne le temps d’examiner l’interprète, de le suivre dans ses moindres gestes, de regarder par exemple ses mains, comment les doigts du « criminel », si petits soient-ils, s’agencent quand il court ? Quand il fuit ? Quand il fait l’amour ? Avec ces « arrêts sur images », les scènes n’imposent pas le sens au public, c’est ce dernier qui fabrique le sens, l’anticipe, même : sa pensée va plus vite que l’action. Des scènes dévolues au spectateur, à son rythme propre, alors évidemment, s’il n’y donne pas un peu de sa personne, ça « manque un petit peu de dynamisme ces séquences au ralenti ». « Ça manquait un petit peu de dynamisme ». Beaucoup n’en revenaient pas, de cette critique très critique, eux que le mouvement de la pièce avait transportés, un habitué du théâtre étant même « subjugué par “ça” ».
Bien évidemment, Zaï Zaï Zaï Zaï, comme beaucoup d’œuvres, ne fait pas l’unanimité. « J’ai eu du mal à plonger dans la pièce, j’ai mis du temps à comprendre que c’était décalé, et je suis restée très extérieure. » Et le son était trop fort. Et tout n’était pas audible. Et la foule d’éléments du spectacle étaient trop foule. Et la scène était trop basse… Un spectateur alla jusqu’à s’excuser d’être petit ; une fois assis, tout le monde est petit.
Un acteur de la pièce a même témoigné. Lui aussi se disait spectateur. Un spectateur-acteur qui confiera n’avoir jamais vu entièrement la pièce qu’il a jouée.
Alors on peut s’interroger : adapter une BD en théâtre, c’est trahir ? Tous et toutes soulignent le respect de la ligne de Fabcaro. Zaï Zaï Zaï Zaï, théâtre, c’est fidèle à l’esprit de Zaï Zaï Zaï Zaï, BD. Le théâtre augmente même le jeu de la BD, fait passer le lecteur-spectateur de la deuxième à la troisième dimension : les scènes bougent avec les lumières et le son. Car il y a ce son. Un son qui tournoie dans la salle, pouvant venir de gauche tandis que la scène se déroule à droite. Le son, par ses diverses textures, était « la structure du dessin » analysera un spectateur en verve. Mais nous n’en saurons pas plus.
Quant à la chute, elle fera boucle avec l’entrée du spectacle où un repris de justice chante contre son gré, et jusqu’à épuisement, des tubes des années 1980 pendant que le public prend place : le « criminel-au-poireau » sera soumis à une lourde peine — chanter Zaï Zaï Zaï Zaï, en karaoké, devant un public adepte du genre.
Elle m’a dit d’aller siffler là-haut sur la colline /De l’attendre avec un petit bouquet d’églantines /J’ai cueilli les fleurs et j’ai sifflé tant que j’ai pu j’ai attendu attendu /Elle n’est jamais venue /Zaï Zaï Zaï Zaï…
— « Au fait, t’as trouvé ta carte ? » demande en fin d’échange une spectatrice à l’acteur principal. Éclatement de rire général. À l’image du spectacle. Zaï Zaï Zaï Zaï, un bien fou, on vous dit.
Pour Le Dico du spectateur
Joël Kérouanton,
à partir des paroles recueillies par Les Collectors.
DISTRIBUTION ZAÏ ZAÏ ZAÏ ZAÏ
TEXTE : FABCARO, ÉDITIONS 6 PIEDS SOUS TERRE
MISE EN SCÈNE : ANGÉLINE ORVAIN
INTERPRÉTATION : PAUL AUDEBERT, PIERRE BEDOUET, BERTRAND CAUCHOIS, CLARA FRÈRE, FLORENCE GERONDEAU, JEANNE MICHEL, VALENTIN NAULIN, LUCIE RAIMBAULT
LUMIÈRE : PAUL BODET, DAVID MASTRETTA
SON : PIERRE MORIN, JONATHAN PENVERN
PHOTOGRAPHIE : ROMAIN DUMAZER
PRODUCTION : PRODUCTION MASH-UP PRODUCTION
Et puis, et puis, et puis il y a cette lettre ouverte, lue à la salle par la troupe, après le clap final. Une intervention pas toujours reçue comme tremplin réflexif, mais comme descente brutale dans le réel, « Ça m’a fait complètement sortir de l’euphorie de la pièce », « Je n’étais pas venu pour ça », « On a été pris en otage », « Ça fait du bien d’entendre un tel engagement », modérera un adolescent en grignotant des cacahouètes. Une lettre ouverte, comme un effet râteau qui interroge notre éthique de spectateur et spectatrice dans le mouvement même de Zaï Zaï Zaï Zaï : où se situe ma limite ?, et lorsque je l’aurai atteinte, qu’est-ce que je ferai ? Irai-je tête baissée dans l’absurde ? Ferais-je partie des citoyens se laissant bercer par les fake news, ou de ceux tentant de décrypter le vrai du faux, l’utile de l’inutile, le faux-semblant du vrai-semblant ?