Sans paroles (par Naël)

J’ai un spectacle en tête.
Je l’ai vraiment en tête.
Depuis quasi dix ans il est dans ma tête.

Ce spectacle, on est allé le voir à Lyon en classe primaire, je me situais encore à l’orée de la pré-adolescence, et à l’orée de la langue française : j’étais en France depuis peu, et tout m’était inconnu tant la langue créait des frontières de communication avec toute personne que je rencontrais.

Je me sentais dans le monde et en-dehors du monde.

Et j’ai rencontré un spectacle. Un spectacle de gestes : ils parlaient avec des balles. Cette jonglerie en direct, face à moi, m’a touché tant ils avaient travaillé, tant ce spectacle sans paroles était bien construit, comme une mélodie de gestes.

Ils ne communiquaient pas entre eux avec les mots mais par le regard et l’attention portée à autrui. Avant que la balle ne leur arrive dans les mains, ils savaient qu’elle allait arriver.

À la fin du spectacle, il y avait un jeu de questions-réponses avec les artistes. J’ai réussi à poser une question en anglais, et mon professeur l’a traduit en français pour le public et les artistes.
Peut-être pour la première fois je me suis senti accepté.
Peut-être pour la première fois, avec ces scènes sans paroles, j’ai su que j’avais quelque chose à faire, ici, en France.
J’ai su que je pouvais avoir une parole.
J’ai su que je pouvais porter une parole.


Texte écrit dans le cadre de l’atelier FAUT QUE ÇA SORTE (« Venez raconter votre spectacle, celui dont le souvenir s’est imprimé durablement et vous hante un peu parfois »), lors de l’édition 2024 des Spectateurices émancipé⸱es, au Garage, à Saint-Nazaire.