Kontakthof ou la solitude absolue (par M.)

Je quitte Saint-Nazaire en 2009, et je reviens en 2011 spécialement pour voir un spectacle.

Pour la der des ders de Kontakthof, je ne pouvais que revenir à Saint-Nazaire. D’autant que ce spectacle, créé en Allemagne par Pina Bausch, allait se jouer dans l’immense base sous-marine, construite par l’Allemagne nazie qui occupait la France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette pièce de Pina, dansée par des jeunes ou par des vieux, a quelque chose d’extrêmement fort. C’est une pièce qui parle de la solitude absolue. De l’impossibilité de communiquer vraiment, malgré le désir.

Je revois ces hommes, ces femmes, assis et assises face à face : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Ils et elles sont dans une salle de bal. Et ils et elles cherchent. Ils et elles cherchent à se rencontrer. Les hommes font des tentatives d’approche, maladroites et timides, de plus en plus osées. Soudain ces hommes entourent une femme. Ils sont plusieurs, elle est seule. Ils la touchent. Contre son gré. Ils la touchent encore. Toujours contre son gré. Et on assiste à la métaphore dansée d’un viol.

Et puis il y a ces jeux de séduction. Des espèces de strip-tease. Des mises à nu du corps, qui n’aboutissent pas à la mise à nu de l’être. Et donc : ne débouchent pas sur une vraie rencontre.

Je me souviens de Kontakthof et je ne m’en souviens plus très bien. Je me souviens de la musique de Charlie Chaplin et je ne me souviens pas des autres musiques.

Kontakthof, ce fut aussi aux Halles du marché, le dimanche : on pouvait croiser les danseurs faire leurs emplettes. Les rencontrer dans la « vraie vie » était magique : même si le spectacle montrait une réalité difficile entre les êtres, des hasards de rencontres étaient encore possibles.

Il restera cette image de la beauté. La beauté de ces corps vieillissants. Une dignité dans la tenue des rôles. Une fragilité – non sans liberté – exprimée par des corps dansants. Une insolente impertinence, comme si on savait que la cause était perdue d’avance mais que l’on allait quand même jouer la partie.


Texte écrit dans le cadre de l’atelier FAUT QUE ÇA SORTE (« Venez raconter votre spectacle, celui dont le souvenir s’est imprimé durablement et vous hante un peu parfois »), lors de l’édition 2024 des Spectateurices émancipé·es, au Garage, à Saint-Nazaire.