Une soirée Bruxelloise
Le dimanche 19 mai 2019
Salut Joël,
Je relis ce texte que j’avais écrit quelques jours après le Bord de scène que nous avions animé à Angers. Ce texte en fragments, avec un début peut-être, mais sans fin autre qu’une coupure sèche, comme si je n’avais pas voulu ou pu conclure. Peut-être parce que le jeu qu’on a proposé s’achève sur des portes ouvertes, et non une morale. Ce jeu est à continuer.
Que dire de ce Bord de scène et des réflexions qu’il a suscitées chez moi/chez nous ? Comment parler à ceux qui furent nos camarades de jeu (profs, danseurs, médiateurs culturels pour citer quelques fonctions), eux qui ont des responsabilités envers leurs élèves/lecteurs ? Nous qui nous voulons un peu empêcheurs de tourner en rond, un peu punks, un peu provocateurs, un peu roublards. Je m’imagine être prof, m’impliquer dans la formation d’esprits encore jeunes, je parlerais peut-être différemment, avec plus de prudence.
Certes, il y a beaucoup à questionner, venant de nous, de nos pairs, de notre civilisation, de notre temps. En attendant, il faut bien s’appuyer d’un côté pour pousser de l’autre, garder un mur pour en casser un autre. Si nous reconnaissons une valeur à l’agir, il nous faut quelques appuis pour danser.
Ne nous empêchons pas pour autant de griffer les fêlures, sans malice autant que sans timidité.
J’essaye de résumer les questions que suscita en moi la formation « Prédire un spectacle » ainsi que les échanges qui s’ensuivirent :
Tout d’abord, il y a la question fondamentale : Où étions nous ? Je dirais que la tension du débat reposait sur un antagonisme entre art et culture. L’art : un regard qui questionne/démêle/retricote le monde. Et la culture à laquelle on assigne le rôle de cimenter les sociétés humaines. Je t’entends souvent dire, Joël, : « La culture est le tombeau de l’art ». Alors, que ces deux notions peuvent-elles bien avoir à faire ensemble ? Comment pourraient-elles agir l’une sans l’autre ? Cela me fait penser à la trinité de la mythologie indienne : il y a le dieu qui construit le monde, celui qui le maintient, celui qui le détruit, chacun des trois étant nécessaire à l’ordre des choses, à la fois antagonistes et complémentaires.
Je resserre plus près du sujet. Découle de cette question précédente, celle de l’amusement. A-t-on le droit de rigoler avec l’art et la culture ? Cela me parait autant risqué (comme l’ont souligné certains joueurs du Bord de scène) que nécessaire. Comme beaucoup de choses en ce monde, c’est un jeu d’équilibriste : le risque est des deux côtés, mais l’équilibre se cherche dans l’oscillation. Cependant, je veux bien insister sur ce que j’ai à défendre ici : mettre sous cloche les productions artistiques, en faire des objets à conserver et à admirer, c’est un peu tuer ce qu’on cherche à préserver. Oui il faut chérir et préserver les trésors, mais sans s’en aveugler. En pensant aux élèves que l’on « cultive », je pense à l’enfant rêveur que j’étais, les hiérarchies ont leur part de violence. Je défends ceux pour qui les injonctions et le bon goût seraient des repoussoirs plutôt que des passerelles. S’il faut justifier d’un diplôme ad hoc pour parler de théâtre, c’est le théâtre qui en souffre. L’art est puissant quand il libère la parole.
J’en viens à ma réflexion et proposition finale. Elle n’était pas le but de ce texte, ce texte l’a fait apparaître. Que l’on soit prof, journaliste ou simple piéton, apprenons les classiques — au sens large — auprès de qui nous sommes en position de transmettre. Mais en parallèle, donnons-leur les moyens de les questionner, de se les approprier, même si cela passe par une désacralisation un peu charcutière, comme une autopsie. C’est dur, je sais, mais c’est parce que nous avons déjà cassé des objets que nous saurons en prendre soin.
À plus l’écrivain,
Louis
ps : une participante m’a transmis des photos de l’échauffement. P’tit souvenir angevins :) Prochaine fois, promis, on propose aux participants de réemployer les livres pendant l’impro du Bord de scène. Chacun son livre, et hop ! ils piochent dedans pour alimenter leurs questions.