Faire, défaire, refaire
S’il y avait trois mots pour qualifier ce nouveau cycle de formation-action culture/social sur le territoire de Nantes-Chantenay, ce serait ça : faire, défaire, refaire.
« Faire », ce serait le « faire-pour-soi-même », par exemple éprouver un atelier de pratique artistique pour sa propre gouverne. On ne connaît pas la danse ni sa technique, et ce n’est pas un souci : on danse pour soi et on met au travail sa relation avec son propre corps. Ce que notre compagnon de route et chorégraphe Laurent Cebe nommera « le travail par le corps ». Une traversée dansée de l’intime dans une dynamique collective, un voyage exploratoire entre soi et soi dans un « groupe de spéléologues » : on s’engouffre collectivement dans les méandres du dessin à la recherche de son corps intérieur.
Cette exploration de soi pour soi avec soi, on la pratiquera en atelier Danse et Dessin sur une immense feuille blanche, autour de l’exposition « Signatures, l’art de s’identifier » aux archives départementales ou lors de ce jeu Bord de scène où chaque personne s’essaiera, non sans espièglerie, à prédire le spectacle MOCHE. Des expériences dans l’entre-soi de la formation, sans injonction de transférabilité immédiate vers des publics dits « vulnérables ».
Après cette phase du « faire-pour-nous-même », la formation nous conduira à faire faire aux familles, et là ça se compliquera. Enfin… ça se compliquera a priori. Inviter des personnes en situation de vulnérabilité à voir un spectacle (MOCHE) que l’on n’a pas vu ? Le challenge sera difficile, mais réussi. Là encore il s’agira de corps. Il s’agira de partir de son corps de travailleureuse sociale ou d’acteurice culturelle qui a déjà expérimenté un atelier autour de MOCHE. De trouver les outils (flyer, image, conversation-petit-déjeuner, …) pour donner envie de pratiquer ce tandem improbable dansedessin et d’aller voir le spectacle qui en découle. Envie à partir de nos envies ? Car on ne sait rien du désir enfoui d’art et de culture des personnes accompagnées, on ne sait trop rien de leur connaissance en dehors des inévitables préjugés à leur endroit. On amorcera un désir réciproque de pratiquer la danse et le dessin ensemble, en espérant que le temps de ce « faire-ensemble » créera les conditions de l’émancipation de toutes et tous. On essaiera d’inclure tout le monde, et de pratiquer la permutation des rôles, les professionnels et professionnelles du social ou de la culture se laissant enseigner par les personnes accompagnées : il y aura toujours, dans l’assistance, une expertise cachée se révélant au grand jour dans l’en-commun de l’expérience. Alors on se dira peut-être que ce « faire-ensemble » aura défait nos préjugés. On nommera donc cette seconde phase d’action le « défaire ».
Bien évidemment, il y aura des réactions par scepticisme. Ce n’est pas la fin du monde. Une micro-perspective s’annoncera, puisqu’on aura déjà fait quelque chose ensemble, un quelque chose de l’ordre du symbolique, qui aura réuni tout le monde autour d’un même objet, de surcroît contributif, en dehors de la classique relation aidant·e-aidé·e. Et dans cette fabrique artistique on aura essayé que chacun et chacune y soit, dans l’expérience, même en se mettant au bord du plateau de danse, cet enfant aura fait le dessin qu’il aura vraiment voulu faire, ou restera là, juste là, à regarder les autres danser et dessiner, juste là avec son père à ses côtés à regarder les autres pratiquer, il profitera assurément de la présence de son père, et ils seront là tous les deux à danser du regard entre eux tandis qu’à côté, sur le plateau, les autres danseront et le duo parent-enfant se regardera et parfois regardera les danseureuses et se regardera de nouveau, se regarder et regarder sera aussi une façon de faire et tout cela s’associera à cette dynamique collective, c’est comme ça qu’on fait société, se dira-t-on, c’est comme ça qu’on œuvre ensemble, se répétera-t-on, et tout ça vaut bien au minimum quelques coups de sueur non ? Tant et si bien que « refaire » paraîtra évident, refaire en tirant ce premier fil d’expériences communes, en le déroulant un peu au gré du vent et des envies, pour déployer l’expression de ces subjectivités multiples et s’ouvrir encore et encore à l’émergence de l’inattendu. Et puis, quand les énergies se feront moindres, nous irons tricoter avec les œuvres tissées de fil et de pensées de Louise Bourgeois, que l’artiste plasticienne désignait par la formule que l’on fera désormais nôtre : « I do, I undo, I redo (1). »