Le Grand Beauregard | La Chapelle-sur-Erdre
Avec les collégiens et les collégiennes de la 3ème B
La Chapelle-sur-Erdre, novembre 2020
Élèves de la 3ème B, après un échauffement du spectateur
Cet article est le récit d’un atelier « Critique du spectateur » mené avec le collège Le Grand Beauregard, autour du spectacle Mascarade de Cédric Cherdel.
Se ré-in-ven-ter. Le mantra 2020, on peut en rire, on peut l’esquiver, il reviendra toujours par la petite porte. Se réinventer, c’est ce que nous avons dû faire quand le spectacle MASCARADE, censé se produire au Quartier libre à Ancenis, fut tout simplement annulé (ou reporté sine die, ce qui revient un peu au même). Pour se ré-inventer et répondre concrètement à la question « Comment parler d’un spectacle que l’on n’a pas vu ? », nous étions trois dans la partie : l’équipe de Musique et Danse en Loire-Atlantique, le collège Le Grand Beauregard à La Chapelle-sur-Erdre et votre narrateur, venant de Saint-Nazaire et découvrant cette ville au nord de Nantes, à deux pas du périphérique et à deux pas des forêts.
CONTEXTE
Se réinventer, facile à dire, pas facile à faire quand il s’agit d’un atelier « Critique du spectateur », où l’idée générale était de missionner une classe de collège pour collecter des impressions du public collégien après le spectacle MASCARADE.
Très vite, nous avions imaginé recourir à une captation vidéo du spectacle. Mais les tests menés auprès de mes proches furent catastrophiques : ils s’endormaient au bout de vingt minutes devant la vidéo en plan fixe, phénomène soporifique nullement observé lors de la représentation en live au Quatrain à Haute-Goulaine — les spectateurs avaient quitté le théâtre quasiment en transe. Visionner la captation n’était pas du tout une option avec les ados du collège Le Grand Beauregard. Nous allions les perdre rapidement. Nous avons préféré une immersion par l’image (huit photographies réalisées par Alice Gautier) et une immersion sonore (huit bandes-son créées par Aurèle Guibert).
PORTE-PAROLE DE LA PENSÉE DE L’AUTRE
«De toute façon on pense tous la même chose, ou presque » n’ont cessé de dire les élèves pendant les ateliers. Tout tenait dans le ou presque. Petite nuance que chacun et chacune était en capacité d’apporter, des petits mots en plus ou en moins qui s’échappaient des conversations, à même d’augmenter au fil du temps l’épaisseur de la critique. Avec l’hypothèse que les ados et les adultes étaient là pour se découvrir spectateurs-émancipés.
Mais on ne s’émancipe pas en un coup de cuillère à pot. Ça suppose a minimum un échauffement. Par exemple en jetant des livres sur « l’art du spectateur » pour constituer un tas de mots, ou encore en écrivant quelques définitions de spectateurs / spectatrices.
Désacralisation du livre, avec des ouvrages évoquant « l’art du spectateur »
Écrire, les collégiennes et les collégiens savent faire. Ils font ça toute la journée. Écrire quelques définitions de spectateur ou de spectatrice à leur sauce, ils ont su faire aussi. Et pas qu’un peu. Un flot de définitions leur passa par la tête, comme ça, par simple amusement. Dans cette fête des mots émergèrent le spectateur-rêveur, la spectatrice-perfectionniste ou le spectateur-stressé.
Ce n’est qu’après un quiz du spectateur rondement mené (une grande majorité d’élèves se sont révélés des « spectateurs qui vivent le spectacle »), suivi d’un jeu (Le Poisson d’avril du spectateur), que les jeunes furent prêts à regarder les photos et à écouter les bandes-son de MASCARADE.
Nous étions bien partis… Quoique. Faire récit d’un spectacle, sans y être, n’était-il pas vain ?
À la suite des échanges, il est apparu que :
Le sol de MASCARADE est tapissé de :
1) paillettes, 2) confettis, 3) neige, 4) sable.
Le lieu de la pièce fait penser à :
1) un carnaval de rue, 2) un fond marin serti de corail, 3) une plage éclairée par la Lune, 4) la planète Mars, la planète Mercure, une comète — y a débat — sur fond d’Univers, 5) le haut d’une montagne enneigée, 6) la série Les Revenants.
Les danseurs représentent :
1) un équipage naufragé sur une île, aux costumes déchirés, les pieds posés dans le sable, 2) des poissons habillés de coraux, 3) des personnages sales, en haillons, évoluant en forêt, dans une ambiance plutôt sombre, 4) un champ de bataille de soldats romains qui se motivent entre eux, 5) des mannequins défilant pour Deƨigual®.
Écoute musicale et déchiffrage d’image (restitution plénière sous forme d’agora)
Les personnages :
1) sont aux aguets, 2) mettent leurs mains en avant — ils ont peur, 3) l’un surveille ses proches, l’autre prie, 4) sont des morts-vivants, des zombies de Walking Dead, 5) se retrouvent au paradis et observent leurs corps morts sur Terre ; commencent alors à crier, 6) sont dans une secte où l’on égorge des cochons, 7) ont l’air perdus, drogués, 8) devraient s’épiler les jambes — pour les garçons — ou se coiffer — pour les filles, 9) font une ronde, une danse de la pluie ou du soleil (selon la météo) pour se préparer au combat, 10) sont des marionnettes, 11) sont des bouffons.
La musique :
1) est répétitive, ennuyante, stressante, une bande-son de Minecraft ou un enterrement sous la pluie, 2) produit une ambiance mélancolique, une nostalgie triste : le monde touche à sa fin et les gens meurent, 3) représente des crabes qui courent, « clac clac », comme si les pinces se cognaient ou se frottaient l’une sur l’autre, 4) fait parfois silence (c’est perturbant), 5) n’est ni belle ni laide, comme une musique de documentaire en hiver, 6) raconte un blocage qui se libère, la fin du confinement ?, 7) rappelle des balles de tennis qui rebondissent sur une table, 8) reprend au ralenti la bande-son du film Les Dents de la mer, 9) ressemble par moments à une pub pour les parfums.
Le pitch oscille entre :
1) le monde touche à sa fin et les gens meurent, 2) une farce sur la nature et le réchauffement climatique — notamment la fonte des glaces — pour sensibiliser les plus jeunes, 3) des gens ont l’air perdus ; ils ont des vêtements abîmés et moyenâgeux ; ils prient pour la planète, 4) des membres d’une famille habitant sous l’océan racontent leurs problèmes et finissent à l’unisson, 5) dans un bois, des chasseurs sont derrière des arbres, les armes braquées sur le gibier, menaçants, 6) au bord des larmes, suivis par des gardes, des hommes et des femmes vont en prison, 7) une marche de la mort.
Notes manuscrites d’un élève à la suite de l’écoute musicale et du déchiffrage d’image
LA FOLIE M. POKORA EMPORTA TOUT
La surprise, la grande surprise de cette expérience collective de spectateur, est le besoin d’identifier les personnages de MASCARADE à des figures people. Devinez qui décrocha le pompon ? Le chanteur M. Pokora. Le bel homme était sur toutes les lèvres, les collégiennes et les collégiens le voyaient partout dans MASCARADE, presque une obsession, « M. Pokora en habits d’homme de Cro-Magnon », qu’ils le décrivaient. Je compris — j’ai mis du temps ! — que les élèves étaient fans de l’interprète Côme Fradet, « son sosie ». Parce que sa danse transcendait la classe ? Pas du tout. Parce que son physique se rapportait à la star du RnB et de pop française, ambassadeur des marques Police et Atol, et, attention, propriétaire de la ligne de vêtements et d’accessoires Oôra by M. Pokora. Bien évidemment, nous, les « adultes », à dix mille lieues de tout cela, avons souri de cette identification marketée, sachant très bien que c’était un biais pour effleurer des questions comme « est-ce qu’une posture c’est une danse ? », une question qui traversa rapidement la classe, tel un ange, et qui reviendra peut-être, un jour ou l’autre, dans la vie folle de spectateur qui attend les élèves de 3e B de cette prétendue ville dortoir au nord de Nantes, où l’on n’est pas prêt de s’endormir sur ses lauriers.
SONNERIE FINALE
Ah ! J’oubliais : après la sonnerie finale, au moment où les élèves se lèvent d’un bond pour aller s’aérer dans la cour du collège, nous avons tout de même visionné cinq minutes du spectacle MASCARADE. Et ce fut bon. Ce fut bon de voir les corps des danseurs et danseuses en mouvement… après les avoir tant imaginés.
Pour le Dico du spectateur,
à partir de la collecte d’impressions de spectateurs menée en présence des élèves, des enseignantes de la classe de 3e B, collège Le Grand Beauregard.
Autres photos et vidéos de l’atelier