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Pays Segréen

ÉCRIRE LA DANSE, PETITS & GRANDS

Segré et communes alentours, 2009-2011

Chaque année le Pays Segréen (Nord d’Angers, 49, France) accueille une compagnie de danse contemporaine. Des rencontres d’écriture sont proposées en parallèle et sont l’occasion d’accueillir un auteur à la rencontre d’un chorégraphe (dans le cas présent Joël Kérouanton en 2010 et 2011, en même temps que la Cie Nadja en 2010 et NGC25 en 2011). Comment écrire la danse, comment inciter les publics à écrire autour de leur pratique ou de leur émotion de spectateurs…


Nous n’arrivions pas — c’était le point de départ — nous n’arrivions pas à faire exprimer les enfants sur ce qu’ils voient quand il s’agit de danse.

Pour un spectacle théâtral il y a toujours une scène dont ils se souviennent, toujours un truc qui va être formulé. Tandis que pour la danse, bien souvent on entend : « C’était beau ! ».

Nous n’arrivions pas à sortir de ça.

Même si chacun rencontre un point de solitude face aux œuvres, comment réussir à confronter son regard aux autres, à créer l’expression — et donc l’échange — face à la création chorégraphique ? Certains spectateurs s’expriment, mais restent dans les formules de plaquette. Les autres sont secs. Secs face à des corps qui bougent. Et puis, beaucoup de spectateurs se demandent si leur expression est suffisamment hype pour se rendre dans les lieux où ils se trouvent.

Une des pistes consistera à décaler le regard. Multiplier les angles de vue avant-pendant-après un spectacle. Aller en classe présenter un spectacle sans en parler nécessairement. Ne pas entrer dans une explication de texte. Éveiller l’imagination. Rendre le spectateur porteur d’une intelligence en soi, autonome. Et répondre à une des grandes questions de l’acteur culturel : comment parler d’une œuvre d’art sans entrer dans la vente de tapis.

En présence de l’auteur invité (Joël Kérouanton) nous développerons une hypothèse concrète de travail : la création littéraire pour sortir du « j’aime/j’aime pas », du fameux « bof ». Écrire amplifierait l’intelligibilité face aux spectacles.

Seule l’expérimentation sera à même de confirmer cette hypothèse. Tester des choses. Pas d’obligations de résultat. Et le ratage, toujours fidèle. Tout ça annoncé d’entrée de jeu.

Cahin caha la danse se traduira en écriture, à l’image de ces enfants qui écriront ce que leurs copains dansent, puis danseront devant les même qui écrivent : faut que ça switch. Danser emplit le corps de mots, faites un mouvement et ça déborde de partout, y a plus qu’à ramasser pour faire texte.

On peut définir le spectateur comme un témoin d’un incident, d’un événement ; une personne qui regarde quelque chose, qui voit, par exemple, un spectacle. C’est la raison pour laquelle, après avoir travaillé directement avec une chorégraphe et un spectacle (Cie Nadja/Lydia Boukirane - Les éblouies), les enfants travailleront le regard sans le support d’un spectacle. Poseront leur regard dans d’autres situations que la boîte noire de théâtre, comme une cour de récréation. Leurs mots, ils les offriront à tous, dans un petit livret fait maison chorégraphié par leur auteur dans cette même cour d’école. Regardant & regardé, écrivain & danseur : encore une fois fallait que ça switch. Même Joël Kerouanton, invité à écrire la danse lors des rencontres publiques, se mettra à danser. Et la chorégraphe Lydia Boukirane se mettra à écrire. Écrivain de la danse, danseur de l’écriture, on ne saura plus trop qui était quoi dans cette affaire. Ce jeu des identités trouvera d’ailleurs forme dans un petit dialogue surréaliste (Splash) entre la chorégraphe et l’écrivain.

On ne leur a pas dit, aux enfants, qu’on faisait de l’expérimentation. On leur a dit qu’on cherchait. Que c’était quelque chose de collectif. Qu’on ne savait pas très bien où on allait mais qu’on allait ensemble. Qu’ils allaient pouvoir raturer les traces écrites par l’auteur invité : tant que le texte n’est pas fini l’auteur est dans la mouise. Là où les enfants iront le plus fort ce sera sur Cœur chaud sur sol froid, le récit épique d’un workshop en danse. Par leur commentaire ils construiront une vraie relation d’horizontalité

avec l’auteur, constitueront une communauté éditoriale qui interrogera le texte, jusqu’à susurrer un beau matin, en classe : « Tu vas y arriver, Joël ! ». 

C’est dans cette ambiance que se déroulera le dernier workshop dansécriture, cette fois-ci en présence d’adultes — l’éducation artistique avec les enfants passe aussi par eux. La rature, toujours. Le corps qui danse et le corps qui écrit, encore. Sur des grandes feuilles à même le sol. Des définitions de spectateurs écrites par des écrivants-dansant (ou des danseurs-écrivants), fabriquées sur un immense plateau de théâtre, des définitions de spectateur polyphoniques et anonymes, sans intention initiale d’être partagées publiquement. Des définitions qui feront, pour voir le jour, l’éloge de la création partagée.

Création partagée, encore, avec ce spectacle Les éblouies de la Cie Nadja/Lydia Boukirane, où des collectes d’impression seront menées essentiellement auprès d’élèves, enseignants, danseurs en situation de handicap, spectateurs du Pays Segréen et autres amateurs d’expérimentations dansécriture. Un appel à la solidarité du public pour fabriquer une littérature des jambes, restituer au plus juste la danse de la Cie Nadja.

Les rencontres dansécriture à Segré, on s’était dit qu’on allait les écrire, afin d’assurer leur reproductibilité. Et nous ne l’avons pas fait. Ça aurait mis fin à quelque chose. Nous l’avons réalisé par petites touches. Comme cette plongée à Segré-sur-danse.

Pour filer le fil nous n’irons pas vers une belle totalité. Assumerons notre mémoire trouée. Car l’aventure continue années après années, dans les classes ou ailleurs. Des situations vivantes, jamais copiées-collées. C’est peut-être essayer de dire ça, finalement. Essayer de montrer ça. Que c’est vivant. Que c’est toujours à inventer. Avec du temps. Beaucoup de temps. C’est là que ça se hisse.

Paroles d’Anne Signour(*),
mises en écriture par Joël Kérouanton — Juillet 2015.
À partir d’improvisations conversationnelles en présence de Françoise Bernard, Joël Kerouanton et Anne Signour, le 26 juin 2015, dans une brasserie angevine, face gare.
(*) Anne Signour est chargée de mission culture & patrimoine au Pays Segréens (plus d’infos : crédits ci-dessous).

Textes en lecture dans l’article :
1 - Récréadanse
2 - L’éloge de la création partagée

Le mini-dico du·de la spectateur·ice : Pays Segréen

  • A
  • Attentif·ve

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  • B
  • Bof

    bof.png
  • C
  • Captivé·e

    gui-dico-58.png
  • E
  • Envieux

    Se lèvera à 5 h 55. Petit-déjeunera à 6 h 07. Prendra son train de banlieue à 6 h 39. Ouvrira la porte de son bureau à 7…

  • N
  • Nostalgique

    image.png
  • P
  • Pas-d'accord

    Ne partage pas les propos de la·e metteur·e en scène. N’a pas envie de voir ce qu’il voit. N’aurait pas fait comme ça…

  • R
  • Réactif·ve

    Rêve de danser un slow si la musique est slow. Un rock si la musique rock. Une transe si la musique …

  • S
  • Shuuuuuut

    image.png
  • T
  • Technicien·ne

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Contexte & crédits

Chaque année le Pays Segréen (Nord d’Angers, 49, France) accueille une compagnie de danse contemporaine. C’est l’occasion de construire un projet de territoire à la rencontre des publics. Séquencée en plusieurs temps, la présence des artistes accueillis est l’occasion de s’immerger dans le territoire et de solliciter à la fois les acteurs culturels, les scolaires, les écoles de danses et l’ensemble des habitants. C’est ce regard sur les lieux, sur le territoire, sur ses acteurs et ses publics, que le Pays Segréen et la Ville de Segré cherche à atteindre en invitant annuellement des compagnies de danse.

Des rencontres d’écriture sont proposées en parallèle de la rési[danse] et sont l’occasion d’accueillir un auteur à la rencontre d’un chorégraphe (dans le cas présent Joël Kérouanton en 2010 et 2011, en même temps que la Cie Nadja en 2010 et NGC25 en 2011). En milieu rural la bibliothèque est bien souvent le seul équipement culturel. Il est la première porte d’entrée vers la culture.

Avec ces rencontres dansécriture, il y a l’idée de croiser la lecture/l’écriture et le spectacle vivant. Comment écrire la danse, comment inciter les publics à écrire autour de leur pratique ou de leur émotion de spectateurs… Composés d’atelier, ces rencontres sont l’occasion d’envisager avec les publics l’écriture avant, pendant et après un spectacle. Des classes de CM2 et de 3ème, des publics en situation de handicap, des enseignants, des bibliothécaires prennent part à cette expérience de l’instant.