Plastic Platon
Cet article est le récit d’une soirée « Critique du spectateur » menée avec le théâtre ONYX et Les Collectors, autour du spectacle Plastic Platon.
Théâtre ONYX, 14 novembre 2021 (sous chapiteau, à Indre).
Quiqui ? Qui du quiqui ? Qui de la zézette ? 2 êtres évoluent depuis leurs corps pour mieux s’en échapper. S’écorchant la peau, la retournant, l’enfilant comme un gant, ils se jouent des sexes à en perdre le féminin/masculin, poussent au grotesque, Drag King & Queen et font du corps un banquet platonicien à 4 bras, 4 jambes, 3 sexes ou pas et mille visages.
PRÉSENTATION DE PLASTIC PLATON PAR ONYX
Un spectacle de cirque-danse-théâtre sous un chapiteau ? C’est possible. C’est même recommandé : la proximité public/artistes est telle que les spectateurs et les spectatrices sont quasiment sur scène, avec les artistes. Nul besoin de scruter les détails, ils viennent à nous. Dans Plastic Platon, il suffit que Sandrine Juglain, une des interprètes, fasse un mouvement d’épaule et elle devient homme. Un geste de la main et Julien Fanthou, le second interprète, devient femme. On ne sait vraiment plus trop qui est qui, quiqui, qui du quiqui. Et sans effets spéciaux.
Ces questions de genre ne se sont pas embarrassées de décors ni d’accessoires, « avec très peu ils ont fait beaucoup », non sans artifices scéniques comme les cache-tétons. Du moins c’est cet artifice d’habillage qui est apparu le premier dans les échanges post-spectacle. Le cache-téton, ou comment faire équité homme-femme. Ainsi les deux corps se ressemblent. « Ça éteint une 3D, ça bloque un relief, tu vois ? » Rarement artifice théâtral n’aura fait tant parler : « Les cache-tétons, c’est pour ne pas choquer ? » « Un code de civilitude ? », « En raison de la présence des enfants ? », « Avec ces cache-tétons, ce qui différencie un homme et une femme, ce n’est finalement que l’organe sexuel. » Intéressant d’observer comment deux petits éléments d’habillage peuvent transformer le propos. Comment ça peut raconter des choses différentes selon les artifices que les interprètes portent. Le propos d’un spectacle tient finalement à peu de choses. À deux cache-tétons.
Et il y a ce moment magique — et bien réel — où Sandrine chante en ténor, et c’est beau, ce chant, et elle est belle, à chanter avec cette voix grave, presque d’outre-tombe. Et lui, Julien, de dos, devenant femme, par la chute de ses reins se transformant en direct, postures très sex-appeal. C’est maintenant Julien-femme qui se trémousse en mode pole dance, et Sandrine-homme qui enfile des chaussures à talons (très) hauts. Et ça continue dans l’entre-genre, Julien-homme enfile les chaussures à (très) hauts talons, et Sandrine-femme enfile un caleçon d’homme. Elle va jusqu’à glisser sa main dans le slip pour bien positionner le sexe — une bonne grosse manière de singer les hommes.
Avant ça il y a la « plastic séquence ». Sandrine et Julien entrent en scène dans un film fin et transparent constitué d’hydrate de cellulose : la cellophane. Leurs deux corps ne font qu’un, puisque l’enrobage cellophane les relie, pour ne pas dire les fusionne, voire les siamoise. Enchrysalidé·es dans leur plastique, iels s’en libèrent peu à peu. Les jambes, les bras, le tronc, la tête puis la bouche. La bouche plastifiée, il n’y avait pas plus puissant comme image pour créer le malaise, « les deux corps étouffaient, assignés à un genre et enfin ils se libèrent ». La libération est la transformation en un autre corps. Se débarrasser d’une peau qui ne leur va pas, une peau primaire, qui embarrasse. La cellophane jonche le plateau, il reste au sol « l’histoire d’une mue », « le reste de la chrysalide », « les reliefs de la métamorphose ».
Et puis vint la parole. « Elle essaie de me dire quelque chose », amorce Julien s’adressant au public. Sandrine l’intrigue. « Est-ce que tu es un animal ? Est-ce que tu as des super pouvoirs ? Est-ce que tu as le pouvoir de te transformer ? Est-ce que tu es animal fantastique ? Un homme ou une femme ? C’est pas claaaair », conclut-il, pensif. Oui, ce n’est pas clair. Mais si c’était clair nous n’aurions pas passé une heure vingt à déchiffrer Plastic Platon. À s’escrimer sur la notion de gender fluid ou de transgenre 2.0, de cisgenre, de non genré, de non binaire, de transsexuelle, de pangenre ou de queer. « Plastic Platon nous met “ça’’ sous le nez. » Alors, autour de ces nombreux mots, il y en a un qui n’est pas apparu immédiatement mais s’est trouvé en haut de l’affiche : navigation. Le spectacle raconte ça, cette libre navigation entre les genres, tels des fondus enchaînés corporels.
De homme à femme. De femme à homme. De homme à homme. De femme à femme. De femme à homme. De homme à femme. De…
Nul doute que Plastic Platon piège le spectateur-soi-disant-ouvert. Votre narrateur le premier, qui évoqua spontanément le comportement maniéré de l’homme, oubliant que la femme use aussi de manières masculines. L’homme n’a pas le monopole des manières. La main dans le slip, c’est une bonne grosse manière de se mettre à l’aise, adoptée par Sandrine, non sans moquerie vis-à-vis de la gente masculine. Vous pensez que tout cela va de soi ? Que nenni. « Une femme qui voudrait avoir des manières masculines, elle ne peut pas. Car en elle, elle est féminine, pas masculine. » La manière fait clivage. Elle fait jaillir les parois normatives que chacun et chacune porte en soi. Qui d’entre nous serait vraiment en phase avec le slogan « Nous sommes tous des genrés fluctuants » ? La norme, cette garce, qui déboule là où on ne la voit pas, chez le public soi-disant le plus ouvert : « dans la vie réelle », avons-nous entendu dans les échanges, « est-ce que Sandrine est femme, ou est ce qu’elle homme ? C’est quand même un problème. Faut savoir. » « Disons que Sandrine se cherche », lui a répondu sa voisine, diplomate, avant de s’interroger : « Sandrine, ou le personnage qu’elle interprète ? »
Avec Plastic Platon, le clivage est permanent et le questionnement infini : « Est-ce que la thématique fait spectacle ? », « Pourquoi se sent-on obligé de faire des créations “là-dessus” ? », « Bientôt on aura des quotas, vous verrez, trois spectacles sur dix devront traiter de la question des genres », « Ça aurait pu traiter la question des genres avec des animaux. Avec des symboles, quoi. Pas en chair, en présence de corps dénudés, de surcroît. » Grande était la crainte de glisser vers l’érotisme en direct, forçant le public à assister à des scènes sexuées, en chair et en os. Un glissement que beaucoup redoutaient, mais qui n’a pas eu lieu, presque à la surprise générale. C’était « osé mais pas vulgaire », « très fin », « juste ce qu’il fallait », « plus, j’aurais été mal à l’aise. »
Plastic Platon ramène davantage au conte qu’à une métaphore contemporaine, à « certains contes qui donnent la possibilité aux petites filles de changer de sexe, de prendre la place d’un homme ». « Dans l’imaginaire, la fille pouvait s’associer à la figure de l’homme, ou l’inverse. » Nous ne saurons pas à quel conte les échanges font référence, mais celles et ceux qui évoquaient le conte ont adoré le final de Plastic Platon et la transformation des interprètes en licorne. Une licorne historiquement genrée — « au début la licorne était un mec, a raconté un spectateur, et il est devenu femme ». Maintenant on dit iel. Non genré·e. Unisexe. La licorne est juliensandrine. La licorne est sandrinejulien.
Pour Le Dico du spectateur
Joël Kérouanton,
à partir des paroles recueillies par Les Collectors.