MOCHE : une danse pas si moche !
OUEST-FRANCE - VENDREDI 31 MARS 2023 - PAGES NANTES/CULTURE
C’est une pièce très courte (30 minutes) mais d’une densité remarquable que Laurent Cebe nous a proposée mercredi dernier à la mairie de Nantes-Chantenay, salle des mariages. Le public était encore nombreux, après avoir vu MOCHE, à rester au bord de scène en présence du dessinateur-chorégraphe, du danseur Cédric Cherdel et du musicien Jonathan Poulet.
Interrogé lors de cette rencontre d’après-spectacle sur l’occasion de jouer au cœur du symbole républicain, Laurent Cebe s’est réjoui d’un tel lieu pour signifier le mariage de la danse et du dessin. Mais c’est presque à un mariage à trois que le public nantais a assisté, médusé, tant la musique électronisante-planante de Jonathan Poulet fut omniprésente. Un geste créatif nécessairement libre. Libre d’être vu par toutes et tous, et libre de s’associer à l’ensemble des arts quels qu’ils soient : MOCHE, un mariage des arts pour toustes.
Si l’intention est de montrer le corps dans sa beauté mais aussi dans ses imperfections, MOCHE, par sa mise en scène sobre et efficace, sait laisser de la place à l’imagination des spectateurices. Quelqu’un dans le public a dit : « Le dessin me fait penser à ce que fait quotidiennement mon fils de quatre ans. » S’interrogeant logiquement sur la qualité des dessins, ce même spectateur interpella le danseur Cédric Cherdel qui ne tarda pas à répondre : « C’est un dessin de grande taille que j’ai réalisé avant de concevoir la danse. Le dessin me sert de tapis de danse. Je cherche à exprimer avec mon corps ce que j’ai au préalable dessiné. »
Les traits du dessin représentent l’énergie du danseur ; les couleurs, ses sensations. Dans MOCHE, c’est le danseur qui s’exprime à travers une partition dansée qu’il a lui-même réalisée et dessinée. Une partition qu’il peut remettre en jeu en fonction des différents contextes de représentations (six soli sont en prévision, pour s’ouvrir sur une pièce-apothéose rassemblant les six interprètes). Avec la complicité du chorégraphe Laurent Cebe, Cédric Cherdel a interrogé la notion de « maison », le « chez-soi ». Une notion abstraite qui ne donne pas forcément lieu à une forme figurative : « J’ai dessiné sur la feuille des endroits que je voulais habiter, et les traces dessinées représentent mes émotions du moment. Cela, on peut tous le faire, votre fils, vous, moi. » Un spectacle proche de l’enfance, qui cherche à représenter ce que l’on vit dans l’instant. L’enfant, fait remarquer le danseur, ne pense pas à comment dessiner, mais à quelles sensations tracer. MOCHE, un spectacle qui invite à se glisser à la rencontre de son enfance perdue ?
Le public, franc, parfois un peu hostile, s’enflamma à propos du short blanc (bien) moulé porté par le danseur Cédric Cherdel : « Ce blanc du short fait penser un peu à la feuille blanche sur laquelle vous avez dit avoir travaillé au début. » Les artistes, parfois preneurs d’analyse sur leur propre geste, reçurent avec joie la réflexion de cette spectatrice en verve. La fin de l’échange n’évita pas LA question que toutes et tous se posent, à savoir : « Pourquoi MOCHE ? » « Parce que rares sont les personnes qui dans leur corps voient de la beauté, et parce que MOCHE est tout sauf laid : il représente une expérience de beauté subjective, une expérience à observer et à écouter, où on se laisse guider pour ressentir davantage dans son corps que dans sa tête et son intellect », expliqua le chorégraphe Laurent Cebe, avant d’insister sur le fait que son geste chorégraphique n’a pas d’influence.
Toujours délicat, cette histoire d’influence : bien évidemment une spectatrice attentive et lectrice de plaquettes piégea le chorégraphe, en rappelant ses filiations artistiques, et pas des moindres : le mouvement Fluxus, le travail des chorégraphes Anna Halprin et Lisa Nelson, le groupe The Velvet Underground et les mouvements comme l’anti-style. « Je me demande juste ce que je vais raconter à mon enfant pour venir demain revoir MOCHE », a conclu la spectatrice quelque peu abasourdie de tant de mots pour une danse si sobre, et s’étonnant de ce titre dissuasif pour une danse si persuasive. D’ailleurs, elle laissa derrière elle, sur un coin de table, un petit papier blanc, du même blanc que le tapis de danse et le fameux short, où il était griffonné « MOCHE ne parle pas vraiment du moche mais pas du beau non plus. MOCHE ne raconte pas une histoire, MOCHE ne s’inspire pas de contes, MOCHE ne présente pas une série de personnages… MOCHE, c’est autre chose. MOCHE propose un chemin intérieur où le public travaille son propre regard au corps. Dans un certain sens, MOCHE pourrait être qualifié de “danse brute sur dessin brut sur musique brute”. »