La première

Ancenis, Mai 2017.

Théâtre Quartier libre

Théâtre Quartier libre. Photo réalisée à genoux.

Il fait beau. C’est à Ancenis. Entre Nantes et Angers. Vallée de la Loire.

Quand j’arrive à la gare, le chorégraphe est là, tout sourire et tout inquiet.
Bien évidemment, la première ne se déroule pas comme prévu. L’imprévu était prévisible. Une première, c’est du rebond vis-à-vis du réel qui se passe, là, sous nos yeux. Et le réel des trois derniers jours au Mans, à L’Espal, était très concret : danseurs cabossés, techniciens pas calés ; sur les trois jours un seul fut vraiment bon.

Restait le samedi, la veille de la première. Une après-midi pour peaufiner. Ce fut bien, mais d’après le chorégraphe, ce fut « un autre spectacle ». Les danseurs ont déroulé « une autre chorégraphie » ». Ont inventé « une autre écriture ». Ce n’était pas ASSIS, c’était une variation de ASSIS. Avant même que ASSIS n’existe.

Les danseurs ? De grands joueurs.

Les retours furent épiques. Un ami du chorégraphe alla jusqu’à dire : « Bon, là, je viens de me séparer, suis au plus mal, suis pas en état de te faire des retours ».

À Ancenis, le plus drôle — si l’on peut dire — c’est qu’on était très mal assis. Pas de chaise ! C’est comme si les organisateurs l’avaient fait exprès ! Dans une chapelle, ils auraient pu laisser les chaises d’église pour cette messe pas comme les autres. Mal assis et mal placés : la pente des gradins était si faible que des têtes pouvaient gêner la vue.

Il y a eu une réaction en chaîne d’objets qui tombent : un briquet, et boum. Un smartphone, et reboum. Dans les trente secondes, un troisième objet, là je n’ai pas su quoi, et rereboum.

Assis à côté de moi, le chorégraphe n’a pas bougé. Après deux années de travail mental, écrit, corporel, la pièce lui échappait. Il ne pouvait plus rien dire ni faire. N’avait plus qu’à regarder. Et à mettre ses lunettes de soleil quand il ne voulait pas voir.

L’impression finale de la pièce ? À force de tournoyer comme des fous, à la recherche de la bonne assise, de la belle assise, de la plus belle chaise, du plus bel emplacement, à force de circonvolutionner, les danseurs finissent sur les genoux. Littéralement.
Ils n’ont pas besoin de jouer la chute : ils chutent réellement de fatigue.
Sauf une danseuse.
Celle qui s’en fout de perdre.
Celle qui résiste à l’attrait du pouvoir.
Celle qui joue de tout ça.
Celle qui danse le pouvoir comme on danse la vie : avec joie et dérision.

Pour Le Dico du spectateur,
JK.

Mise en ligne le 9 juin 2018 et dernière modification le 26 novembre 2019