Le voyage après un spectacle, c’est le rêve d’une nouvelle naissance. D’un nouveau corps. L’occasion d’éprouver la danse vue sur scène. Au risque de passer pour un zouave. Et de subir une empreinte corporelle indélébile.
« Ils m’avaient fait comprendre, les danseur·euses, qu’il en allait d’une éthique commune : j’éprouverais le « marcher-assis » ou je n’écrirais pas sur leur spectacle ASSIS. Et si je n’étais pas content, je pouvais aller m’asseoir ailleurs. […] Je m’étais résolu à apprendre cette marche de l’assise, enfin ce n’était pas de l’apprentissage, plutôt de l’entraînement : faire, refaire, défaire, faire, refaire, défaire jusqu’à ce que semi-assise s’ensuive. J’eus l’idée d’explorer cette étrange position lors de mes voyages quotidiens en train. J’avais aussi envie de faire partie de ce peuple qui marche assis. De toute façon fallait pas beaucoup que je me force, les TER Nantes-Saint-Nazaire étaient blindés de gens assis-debout, plutôt debout, qui jouaient des coudes pour maintenir leur assise correctement. […] Sur la plateforme, je pliais les genoux, bombais le torse et c’était parti pour la position semi-assise pendant quarante et une minutes exactement. Semi-assis dans le train, mon corps de Spectateur-Voyageur devenait tout biscornu. Il se figeait, prenait le pli, je ne sentais plus mes cuisses, d’ailleurs je ne sentais plus grand-chose, et le plus étrange, c’est que ma position semi-assise ne s’arrêtait pas au train. Après les quarante et une minute de semi-assise, mon corps était complètement déformé, un peu comme un fil de scoubidou, il lui fallait du temps pour retrouver son état initial. »
KÉROUANTON (Joël), in « Le Dico du Spectateur », 2017.