La tentation de l'assise

Nantes, 23 au 26 novembre 2017.
Maison de quartier Madeleine Champ-de-mars (Résidence de recherche)

Avec le chorégraphe Cédric Cherdel, nous avons commencé par nous asseoir. Sans chaise. On se l’est dit comme un slogan, un manifeste.

NOUS NE CÉDERONS PAS À LA TENTATION DE L’ASSISE

Les chaises, on s’en est vite libérés, même si, disposées aux quatre coins du studio, elles nous invitaient constamment à poser nos fesses. La chaise, on peut s’y asseoir sans qu’elle soit tangible. Une chaise imaginaire, en quelque sorte. Mentale. Imaginez-vous vous asseoir sans chaise, que se passe-t-il ? Il se passe que la chaise est là, en creux, et que le corps s’assoit, en plein. De loin, on apercevrait presque la chaise, mais non, en fait. Le corps a tant d’imagination qu’il peut faire sans. Il sait faire sans. Il s’est tellement assis. Il a tellement vécu l’assise qu’il connaît tous les gestes de l’assise. Alors s’asseoir sur une chaise imaginaire, ça lui permet, au corps, de bien se porter. De porter lui-même son assise. Le dos devient droit ; le regard cherche l’horizon, le corps se tend — c’est un peu crispant, quand même, d’être assis sans assise.

Pour un peu, on y mettrait un canapé, dans ce studio. Le corps s’y « affesserait » et nous serions bien embêtés pour travailler. À peine levés, nous serions assis et resterions assis à digérer, rêvasser, ronfler. Allez vous lever après ça.

Étrangement, dans ce premier récit, je fais usage du « nous » sans demander au chorégraphe ce qu’il en pense, sans savoir s’il veut bien associer son « je » à mon « je », alors que, peut-être, il n’y a pas de son jeu dans mon jeu, nos jeux seraient dissociés, nos jeux de la langue et du corps ne seraient pas la même chose, mais alors pas du tout du tout. Il y en a — je les vois venir — qui nous emmailloteraient avec quelque chose comme : « Vous travaillez vos deux langages pour créer des liens, sentir comment ils s’entremêlent » et tout le toutim, et nous on est là en cette fin novembre à constater que nos « je » dialoguent, certes, mais qu’ils dialoguent en solitaire; ils dialoguent par leur irréductible solitude, ils dialoguent par leur incompréhension, par leur impossibilité physique de faire l’un et l’autre, d’écrire et de chorégraphier, de taper des mots sur l’ordinateur et d’esquisser les mouvements de l’assise. Par exemple, si on prend le yoga — qui n’est pas de la danse mais pourrait la précéder : vous avez essayé de faire du yoga en écrivant ? Si vous écrivez, vous cessez la concentration sur le geste même du yoga. Si vous yogatez, vous cessez le geste même de l’écriture. Vous ne pouvez pas être au four et au moulin. Le cul entre deux chaises, faut oublier.

Pour Le Dico du spectateur,
JK